[Le Temple de Nérée - Pro-Naos]
Les porteurs s'étaient assoupis à l'ombre du Temple; certains, plus vaillants, s'occupaient à courtiser les quelques servantes qui vaquaient à leurs tâches. En cette quiétude de début d'après-midi étouffant, Yelena n'eut donc aucun mal à échapper à ce qu'elle appelait sa garde. Quant à l'agitation de l'esplanade, il était si facile de l'éviter en passant par l'arrière...
Ses pieds nus coururent sans bruit sur la pierre brûlante, et ne s'arrêtèrent que pour se fondre dans la foule qui bravait la puissance d'Hélios. Yelena cligna des yeux sous le voile de gaze, éblouie par tant de vie. Oui, Kalymnos vivait. Elle inspira profondément l'haleine de la cité, et eut un sourire enfantin.
La jeune prêtresse fit quelques pas au hasard sur la place, heurtée par des citoyens tout-puissants ou par des esclaves pressés de rentrer de leur course... Un marchand l'interpella de son étal pour lui proposer des tissus de toutes les couleurs, brillants et soyeux. Yelena y promena son regard, avança la main pour effleurer les étoffes puis eut un petit geste de recul et se détourna. Renoncer.
Elle se laissait porter par les mouvements de la masse, errant sur la place pour se rassurer, se plonger dans cet amas de vie et de sueur qui se relevait toujours... Un marchand soudain jaillit de derrière son étal pour poursuivre un quelconque chapardeur, et dans sa course aveugle bouscula Yelena qui se rattrapa à l'épaule d'un jeune homme. Dans le mouvement son voile avait glissé, dévoilant une seconde ses cheveux, qu'elle s'empressa de replacer avant de se tourner vers celui qui lui avait évité la chute. Il s'agissait apparemment d'un esclave, jeune et beau, en pleine discussion avec une femme qui resplendissait d'assurance. Une femme libre n'était pas tenue de s'excuser devant un esclave, mais Yelena accorda un sourire navré au jeune rouquin:
"Pardonne-moi de t'avoir bousculé. Et merci pour l'épaule !" ajouta-t-elle, les yeux rieurs.